L'Histoire derrière l'histoire

Publié le par Didier Fédou

L'Histoire derrière l'histoire

Pour commencer, méditez ceci :

" Une partie de l'attraction du Seigneur des anneaux est, je pense, due aux aperçus d'une histoire plus large à l'arrière-plan ; une attraction comme celle d'observer au loin une île que l'on ne visite pas, ou de voir les tours d'une cité lointaine miroitant dans une brume ensoleillée. Y aller serait détruire la magie, à moins que de nouvelles perspectives inaccessibles ne soient ensuite révélées."

Vous aurez sans peine deviné qu'il s'agit là d'une citation de John Tolkien, si précieuse d'enseignements que je la traîne dans ma mémoire depuis des années et m'en sert comme préface dans mes Terres de Légendes.

Vous conviendrez aisément qu'une histoire (une fiction) est riche si elle naît d'un socle riche, comme un pommier produira de beaux fruits si l'humus est épais entre ses racines, ou qu'un château durera des siècles si ses fondations sont profondes.

Surtout en fantasy et en science-fiction, l'auteur doit créer un monde de toutes pièces pour servir de théatre à son histoire. Ce travail, c'est le background, terme bien connu des rôlistes, une sorte de bible graphique et littéraire contenant à la fois les grandes lignes et les petits détails de l'univers du roman, qui n'en reprendra qu'une fraction. Vous avez sans doute déjà vu ça, surtout sur des blogs d'auteurs, un genre d'encyclopédie dévoilant des cartes géographiques, des listes de personnages, des chronologies, etc.

Tout ne servira pas, l'auteur talentueux parviendra à n'utiliser que les éléments forts utiles (je précise : forts et utiles) et suggérer les autres, laissant sentir au lecteur une grande cohérence, quelque chose de plus vaste mais qu'on ne voit pas, un monde entier à explorer au-delà du livre.

C'est évidemment un signe de qualité. Je vais illustrer par deux exemples mondialement connus, le seigneur des anneaux et Harry Potter.

L'Histoire derrière l'histoire

Vous n'êtes pas sans savoir que le Seigneur des Anneaux, œuvre complète, est précédé de Bilbo le Hobbit. Ainsi, le SdA fait souvent référence (après tout, c'est la suite...) à des évènements survenus à l'époque où Bilbon traçait la route.

Mais l'un comme l'autre font aussi référence à un passé encore plus lointain, dont la connaissance explique bien des choses dans le présent. Ces évènements-là sont pour la plupart décrits dans le Silmarillion, d'une lecture difficile et exigeante, mais où l'on peut apprendre, entre autres :

-- la "jeunesse" de Sauron, lorsqu'il n'était que le bras droit d'un seigneur des ténèbres plus puissant encore

-- l'origine des anneaux de pouvoir

-- pourquoi les elfes ont un si étrange caractère et leur obsession pour la mer et les bateaux

-- d'où viennent les orques

-- et jusqu'aux origines les plus primitives du monde d'Arda

Bref, même si l'on se dispense de la lecture du Silmarillion et des aventures de Bilbon Sacquet, il n'est pas difficile, à la lecture du SdA, de "sentir" tout ce qu'il s'était passé avant. Je ne sais pas pour vous, mais moi ça me botte de ressentir ça. Nul doute que Tolkien a commencé du début (même si l'on sait qu'il a très largement modifié son œuvre à posteriori), le coup de bol du SdA fut d'avoir été publié en premier, bien écrit, riche de tout ce que John avait inventé longtemps avant, et laissant donc aux lecteurs émerveillés la possibilité d'apercevoir les tours d'une cité lointaine miroitant dans une brume ensoleillée. Y aller serait détruire la magie, à moins que de nouvelles perspectives inaccessibles ne soient ensuite révélées.

Ces perspectives inaccessibles le devinrent plus tard, à la parution de Bilbo et du Silmarillion.

Ce n'est pas qualifiable, on est dans le ressenti. Je préfère qu'un grand récit m'évoque un passé encore plus grand. Parce que je ressens alors le souffle de l'Aventure. Le souffle de l'Aventure, bon dieu ! Et ce que je lis paraît alors plus réel. La plume de l'auteur, son implication dans son roman y sont bien évidemment pour beaucoup, de même que la sensibilité du lecteur compte dans l'équation. C'est ainsi : un bon récit doit suggérer un passé plus grand. J'ai bien dit suggérer, la nuance est importante, on ne va pas couper une histoire toutes les deux pages pour coller un article d'encyclopédie.

L'Histoire derrière l'histoire

Un autre exemple d'histoire derrière l'histoire est donc visible dans la saga Harry Potter.

Dès le premier tome, le ton est donné : Harry est célèbre dans le monde des sorciers car il a renvoyé à Voldemort son avada kedavra. Cela, Harry l'ignorait, nous le découvrons en même temps que lui, et le truc, c'est que l"histoire ne commence pas avec lui, mais longtemps avant sa naissance. Chaque livre rajoute une couche, nous apprend comment c'était avant et comment le passé fabrique le présent.

Pourquoi et comment Tom Jedusor est devenu Voldemort, pourquoi s'attaquer à Harry, l'origine de Poudlard, le tout avec une grande cohérence. C'est très important. Il n'est pas difficile d'inventer un monde, et d'en raconter les éléments dans son histoire. Il est bien plus difficile de ne pas se planter dans ses chronologies et relations inter-personnages, encore plus dur de raconter tout ça sans couper le récit, en le suggérant.

Nous suivons l'histoire de Harry, mais Harry, comme nous, arrive au beau milieu d'une histoire bien plus vaste, qui a fabriqué son monde, qui était là avant lui, et qui influence sa vie. L'histoire de Harry commence réellement des années plus tôt, avec les belligérants de la première guerre des sorciers, et Rowling nous promène allègrement dans son univers en nous faisant croire des trucs dont nous ne pouvons qu'être persuadés, à tomber sur le cul quand par exemple on apprend la vérité sur la relation entre Rogue et Dumbledore. Coup de théatre retentissant sur toute la saga à rebours, et qui fonctionne parce que sur 7 tomes, l'auteure nous fait découvrir un univers riche et vivant, organisé, et ayant évolué. Je vous parie 3 roubles et 10 kopecs qu'un roman écrit à partir de rien, juste sur l'inspiration du moment, ne vous donnera pas un aussi grand spectacle.

Alors quelles leçons d'écriture tirer de ces exemples ?

-- Prenez le temps de créer votre monde. Faites des recherches. Voyez grand puis petit, dessinez les continents puis étudiez le quotidien simple d'un paysan. Même si votre histoire se déroule dans notre monde, à notre époque, vous devrez inventer vos personnages, leurs histoires, leurs relations.

-- Différenciez les éléments majeurs de l'Histoire avant l'histoire des éléments mineurs. Les éléments majeurs, vous devrez les expliquer (habilement...) dans votre récit, les éléments mineurs, vous devrez les suggérer, sans oublier que c'est eux qui font le souffle de l'Aventure.

-- Vous saurez que vous y serez parvenu quand vous sentirez que d'autres histoires peuvent naître de ce monde, une fois que vous aurez terminé le premier récit. Quand vous verrez au loin une île que l'on ne visite pas, ou les tours d'une cité lointaine miroitant dans une brume ensoleillée...

Et si vous voulez partir en voyage avec moi vers ces îles et ces cités lointaines, embarquez donc :

Publié dans Leçon d'écriture

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C'est pas pour te passer de la pommade, mais tu as admirablement réussi ça dans Terres de Légendes. J'espère que tu lui donneras une suite (ou une préquelle, c'est à la mode).
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