On n'écrit qu'une fois

Publié le par Didier Fédou

A tous les angoissés de la Page Blanche, cet article va vous soulager un peu. Je vais y démystifier un peu l'Ecriture. Je n'ai pas la science infuse, et ce qui suit a été découvert par d'autres bien avant moi. Ça va en intéresser certains autant que d'autres hausseront les épaules en se disant "Pff... portnawak !". Cependant, vous verrez que je ne tombe pas bien loin de la vérité, ou du moins ce qui y ressemble le plus.

D'abord, sachez que la Page Blanche, cette maladie propre aux écrivains, n'existe pas. C'est une invention de fainéant pour ne pas se mettre au boulot. On peut bien se retrouver bloqué sur le développement d'une idée, une description, une mise en scène, une chronologie, mais à moins de perdre les deux mains et la moitié de son cerveau, on ne peut pas se retrouver incapable d'écrire. On le peut TOUJOURS. Même si on n'écrit alors que de la merde. Ecrire est un boulot (voire une forme d'esclavage si on fait le rapport temps/bénéfice) comme un autre, en plus, sinon plus, d'être une forme d'art. Mais bon, on dit 10% d'art et 90% de boulot, hein... Vous croyez qu'un boulanger aura des crises de baguette blanche ? Vous imaginez René le moustachu, votre garagiste, abandonnant le joint de culasse de votre mercedes ou votre dacia, prétextant une crise de clé à molette blanche ? Ben non. Moi non plus.

Vingt ans et plus que j'écris, au moins un peu tous les jours, 1 m 50 de papiers empilés, je n'ai jamais eu de page blanche. Des difficultés, oui, j'ai parfois écrit au marteau-piqueur plutôt qu'à la plume d'oie, et les rares fois où je me suis arrêté, c'était plus par fatigue et lassitude que par incapacité à écrire.

Ensuite, savez-vous pourquoi la Page Blanche n'existe pas ? Parce que, tenez-vous bien, parce qu'on n'écrit qu'une fois.

Et oui.

Si vous suivez un peu ce blog, vous savez comment je travaille? C'est un schéma très simple :

Idée - synopsis - premier jet - deuxième jet - relecture et corrections - saisie sur traitement de texte - relecture et corrections - béta lecture et corrections, etc...

Comme des cercles concentriques de complexité croissante. Comme un peintre qui, à partir de trois grands traits d'esquisse, va y ajouter les lignes d'un squelette, recouvrir celui-çi de grandes masses charnues, puis d'une peau à laquelle seront ajoutés les détails, les grains de beauté, les chevelures, le granulé de l'épiderme et les ombres et les reflets et les brillances.

Une autre métaphore, j'aime bien les métaphores. Imaginez une table à la con, basique au possible : un plateau, quatre pieds. Rajoutez-y un coup de vernis. Des moulures sur les bords. Sculptez les pieds. Ajoutez des rallonges. Puis un motif guilloché à la surface. Des ornements et des dorures. C'est toujours une table, mais d'un meuble en kit made in China, vous avez fait un objet d'art style Louis croix--bâton.

Toute histoire est contenue dans l'idée, ne demandant qu'à être développée. Pour reprendre, encore, une métaphore de notre ami Stéphane Roi, Bangor, Maine, voyez cette idée de base comme un os qui dépasserait de la terre. Votre boulot d'écrivain consiste à déterrer cet os et ceux autour, puis de remettre au mieux le squelette dans le bon ordre pour l'exposer dans un musée.

L'idée d'abord, le reste n'est que fioritures. On n'écrit qu'une seule fois, et quand l'idée est posée, il n'y a plus qu'à la recopier en l'améliorant. Alors puisque qu'on n'écrit son roman qu'une seule fois, comment pourrait-on être bloqué par ce syndrome de la Page Blanche, hein ?

Il me croit pas ? Mate-ça mon frère :

Idée : un gars trouve un objet qui seul peut tuer un super-dictateur.

Là, je viens d'écrire le Seigneur des Anneaux. J'exagère, bien évidemment, mais l'exemple est valable. A ce niveau de base, l'Idée, pas besoin de savoir que le gars sera un hobbit, que ça sera une histoire heroic-fantasy, on s'en fout que l'objet soit un anneau. Inutile de savoir en quelles circonstances il fut découvert, identifié, et par où il faudra en passer pour l'utiliser (ou pas). Tout ça, ce sont les étapes de complexification. Quand vous rajoutez la peinture ou que vous commencez à emboîter les os.

Vous ne ferez pas un roman de chaque idée non plus. Les BONNES idées sont rares, et il faut parfois, comme dans un accélérateur de particules (décidément, cet article est très imagé), que deux idées ou plus se percutent pour en créer de nouvelles, et il ne suffit pas d'ajouter des litres de peinture pour faire du bon boulot. Vous pouvez déterrer un bel os, mais il ne faudra pas se contenter de poser autour les autres os en vrac, encore couverts de boue et de gravier. Vous allez bien vous prendre la tête pour faire ça correctement, garanti, mais il n'y aura pas de Page Blanche. Si vous bloquez, allez prendre l'air, revenez, puis prenez le blocage de l'autre côté, c'est bien le diable si vous n'y arrivez pas.

Exemple perso. Une idée de base : une femme enceinte à des visions d'un meurtre. c'est le futur de son bébé qu'elle voit.  Telle que, cette idée a tournée des années dans ma tête avant que je ne trouve la façon d'en faire quelque chose. Le résultat s'intitule Maman, à paraître dans le prochain recueil des éditions Malpertuis. J'avais mon os, j'ai cherché autour, et un beau jour, ma pelle a déterrée un autre os, puis un autre, et tous se sont assemblés (presque) par miracle. Après, j'ai nettoyé tout ça, collé les rotules sur les fémurs, un bon coup de polish pour faire briller, mais l'histoire entière était déjà dans l'idée.

 

Bon, si vous avez réussi à comprendre ce que je voulais dire au travers des mes peintures et de mes os, il faut admettre que tout ça n'est valable que si vous adhérez à une méthode de travail proche de la mienne.

J'en connais qui préfèrent se laisser porter, ils posent le stylo sur le papier et se lancent sans savoir où ça va les mener. Improvisation. Comme si on lance des baquets de peinture sur un grand mur et qu'on cherche ensuite s'il y a des formes intéressantes qui apparaissent. Un exercice plutôt casse-gueule en écriture, où l'on cherche à avoir le trio début-milieu-fin, mais qui fonctionne parfois. Parce qu'après tout, c'est comme si vous foutiez des coups de pelle au hasard dans un champ. Vous allez forcément trouver des os. Souvent, ils n'appartiendrons pas au même squelette d'animal et l'histoire sera truffée d'incohérence, de lapins qui sortent du chapeau ou de deus ex machina pour essayer de sauver le tout. D'autres fois, on a de la chance, et les os s'emboîtent pas mal, tandis que nous aurons soin d'écarter ceux qui ne conviennent pas

Un autre exemple personnel, d'une impro : mon premier os, juste une patte de poulet, fut un exercice personnel d'écriture consistant à décrire l'état de manque d'un fumeur pri de clopes, état dans lequel j'étais alors.

Avec ma joli pelle et mon râteau, le hasard voulut que je découvris juste après un os plus gros, genre fémur de mammouth : une invasion d'insectes accrocs à la nicotine (sans doute parce que je faisais la guerre aux frelons asiatiques cet été-là).

Les os se sont bien emboîtés, j'en ai déterré quelques autres, peinture, polish, quelques rubans, mais le plus important, c'est que j'étais parti au hasard, sans idée vraiment conçue. Un terrain idéal pour la Terrible Page Blanche, mais l'idée était là, on n'écrit qu'une fois. Le résultat, c'est Nicotine, toujours chez Malpertuis. Pardonnez-moi cette auto-congratulation, mais ça fait aussi du bien.

 

On peut multiplier les exemples à l'infini, c'est toujours pareil. Qu'on soit en improvisation totale ou méticuleux à multiplier les brouillons, on démarre toujours d'une idée contenant le germe de toute l'histoire, un ADN ne demandant qu'à être cloné, on ne fait que recopier cette idée autant d efois qu'il le faut.

 

La terre est pleine d'os. La Page Blanche est le support idéal pour vos esquisses et vos pinceaux. On n'écrit qu'une fois. Mais on ré-écrit beaucoup.

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A
Merci Didier pour cet article, très vrai.<br /> Je pense aussi que lorsqu'on est bloqué sur un passage, une description, un dialogue, ce n'est pas grave, il ne faut pas hésiter à passer à autre chose, quitte à y revenir plus tard.<br /> Écrire, écrire et encore écrire...
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