Comment travaille-je ?

Publié le par Didier Fédou

Pendant très longtemps, quand j'étais jeune et débutait à peine dans l'écriture, j'écrivais tout azimut. Pas de nouvelles, ça n'a jamais été trop mon truc, non non non, des romans messieurs et dames. Des romans !

Il me suffisait d'une idée, d'une image, que je notais sur un post-it pour ne pas l'oublier, et en avant ! Première page, premier chapitre, et j'inventais tout au fur et à mesure. Niveau créativité, j'étais balaise. Niveau qualité, c'était autre chose. Je commençais plein de trucs, parfois j'étais à 15 ou 20 pages que je me disais "tiens, et si je faisais un scénario, histoire de savoir de quoi va parler la suite ?"

Pendant quelques temps, de 14 à 19 ans je dirais, je bossais sur une dizaine de manuscrits en même temps. Chaque jour, je tirais avec des dés le manuscrit sur lequel travailler. Bref, j'étais dans une véritable frénésie, une boulimie d'écriture. Et vous vous en doutez, très peu de matière créée à cette époque est parvenue jusqu'à nous. Quelques scènes, recyclées, un ou deux personnages, ou du moins des traits de caractères. Pas grand chose, sinon un très bon entraînement. Et c'est ça le plus important. Si en lisant on devient liseron, c'est en écrivant qu'on devient écrivaillon.

 

Aujourd'hui, je ne ferais plus l'erreur de démarrer l'écriture sur un coup de tête. Je vieillis, et j'ai quand même autre chose à foutre que passer des heures sur un truc qui se révélera impubliable. Aussi, j'ai  pris l'habitude d'aborder l'écriture d'une façon très organisée. C'est organisé en strates de complexité croissante :

 

Strate 1 : l'Idée. Soit la base générale du roman, un début de thème. trouvez une idée n'existe pas, c'est l'idée qui vous trouve. Comme d'autres, j'ai en permanence un carnet et un stylo dans la poche. Carnet que je stocke une fois plein dans un tiroir avec les autres, et que je ressort de temps en temps pour feuilleter. Les idées reviennent, s'associent, et parfois, la magie opère...

On dira que ça prend une heure.

 

Strate 2 : le synopsis. Où l'on va poser les grandes lignes de l'histoire, comme un peintre va placer les gros éléments de sa croûte et juger si ça le fait ou pas. C'est une étape très importante. En étant honnête avec soi-même, on peut dire si ça vaut le coup de continuer ou pas.

Ça dure, disons... une journée.

 

Strate 3 : le scénario. Chapitre par chapitre, j'écris une version très simplifiée de l'histoire en commençant à travailler l'ambiance. Si une scène est importante, j'ajoute déjà les détails qui vont bien, les effets de style. L'avantage du scénar, c'est sa concision. S'il faut recommencer un chapitre, on n'y passe pas 15 jours. Du fait du faible nombre de pages, il est facile d'aller et venir, d'avoir une vision globale de l'histoire. Comme si vous devez réparer un moteur de bagnole. C'est plus facile d'y foutre le nez s'il est débarrassé des accessoires pour visualiser l'essentiel.

Je n'ai pas pour habitude de faire des fiches détaillées de personnages et de lieux. D'autres le font avec une précision chirurgicale, pas moi. J'ai l'impression que ça me limite et préfère laisser les persos vivre leur vie et agir selon la direction que doit prendre l'histoire.

Durée : une semaine.

 

Strate 4 : le roman, tout au moins son premier jet. Il n'est pas rare, une fois fini, de tout reprendre en entier. Je ne vais pas détailler comment ça marche, c'est le vrai boulot des écrivains, et c'est pas le but de cet article. Le fait d'avoir préparé le terrain en amont facilite grandement les choses. Il suffit presque de recopier son scénario en ajoutant les détails !

Bien sûr, c'est aussi ça la magie, l'histoire vitparfois d'elle-même, et on se contente de regarder par cette fenêtre sur un monde parallèle pour décrire au mieux ce qu'on y voit.

Un jour ou l'autre, c'est d'ailleurs très auto-gratifiant, on écrit le mot fin, au bout d'une ou plusieurs versions. Le roman est presque prêt.

Durée : dans l'idéal, un an, mais là, ça dépend de tellement de choses que le temps est élastique. On apprend très vite la notion de temps relatif : une scène très courte dans le roman peut vous avoir pris un mois à l'écrire, tandis qu'un chapitre peut avoir été torché en une heure.

 

Strate 5 : les corrections. Le mieux, c'est de poser le manuscrit (oui, parce que moi, j'écris à la paluche, incapable d'écrire directement sur l'ordinateur) et le laisser reposer. Et quand il est sorti de votre esprit, vous le reprenez et vous le relisez, un stylo, de préférence rouge, à la main. Si vous trouvez pas au moins une correction à faire toutes les cinglignes, c'est soit que vous êtes le nouveau Victor Hugo, soit que vous êtes un branleur.

Et quand vous avez tout relu, que vous savez où vous avez des phrases bancales, des précisions à donner, des détails à revoir, et bien relisez encore une fois, très vite. Vous verrez que vous trouverez encore d'autres corrections à refaire.

Tout ça, ça prend peut-être un mois, sauf si vous avez des parties entières à refaire, et vous aurez un manuscrit tellement raturé qu'il en sera illisible pour tout autre que vous. Il est temps de mettre tout ça au propre.

 

Strate 6 : la saisie sur traitement de texte. On recopie votre écriture en pattes de mouches recouverte d'un emplâtre de corrections au propre. Et au passage, on en profite (puisque c'est aussi une relecture) pour peaufiner encore un peu son texte.

Un bon coup de correcteur, une mise en page claire et sobre, plusieurs sauvegardes dans tous les coins. Et vous voilà prêt. Pour la célébrité et la gloire ? Non, pour être jeté au bas de votre piédestal par vos lecteurs-tests...

 

Strate 7 : les lecteurs-tests, donc. Choisissez des gens qui savent lire, de tous les milieux, et confiez-leur une exemplaire de votre oeuvre, et dites-leur bien de ne pas vous épargner. L'écriture est une activité solitaire qui a souvent tendance à vous faire croire plus intelligent que les autres. Se confronter à l'avis des vrais gens vous fera redescendre, et même si ça faitmal aux fesses, les avis vous feront progresser. Des choses que vous 'aviez pas vu, des trucs pas clairs à revoir, etc... et vous voilà reparti à la strate 5, puis à nouveau la strate 6. Attention, selon la quantité de corrections faites selon l'avis de votre panel, soitvous pouvez passer à la strate 8, soit revenir à la strate 7 pour une nouvelle lecture, et encore d'autres corrections. Il est aussi encore possible de foutre tout ça dans un carton au grenier et de passer à autre chose... Parfois, ça fait du bien. Je le sais, je l'ai fait.

Je n'indiquerai pas de durée. C'est pas quantifiable.

 

Strate 8 : la quête d'un éditeur. Et là, j'ai pas grand chose à dire, sinon bonne chance et boooooooocoupde courage et de patience. Le manuscrit vous reviendra peut-être refusé et vous repartirez dans un nouveau cycle lecture-correction, ou vous le foutrez en l'air en sacrifiant une chèvre pour maudire l'engeance des éditeurs, ou vous passerez à autre chose ou vous continuerez, imperturbable et patient...

Durée ? Quelques mois ou toute une vie...

 

Voilà voilà. Je vous ai présenté MA méthode de travail. C'est celle qui me convient, ça n'ira peut-être pas à votre façon de faire, vous avez sans doute la votre. Autant de méthodes de travail que d'écritures.

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F
Très réaliste ! C'est tout à fait ça !
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